Contrairement à ce que leur surnom donne à penser, les « filets fantômes » sont bien réels et ce, au plus grand dommage pour l’environnement marin. Loin de désigner les activités fantomatiques d’un navire pirate englouti, il est question, ici, d’une problématique bien plus prosaïque, à savoir la masse considérable et croissante d’équipements de pêche, perdus ou abandonnés au gré des flots. Au cours des cinquante dernières années, ce phénomène n’a cessé de prendre de l’ampleur, renforcé par des activités de pêche de plus en plus intensives. Dès le début des années 1980, la FAO
(1) décrivait la « pêche fantôme » comme un problème majeur mondial, représentant une sérieuse menace pour les écosystèmes marins et côtiers.
D’après un récent rapport de la FAO et du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), ces équipements errant dans les profondeurs marines représenteraient 10 % des déchets marins, équivalant à quelque 640 000 tonnes. Si l’abandon volontaire a une part de responsabilité dans ces rejets associés à l’industrie de la pêche, la plupart des équipements se perd en raison de mauvaises conditions météorologiques, d’erreurs au cours de la manipulation du matériel ou encore d’un dysfonctionnement des équipements.
Spécifiques à chaque type de pêche, certains équipements sont plus disposés que d’autres à se perdre en mer selon la technique et le volume de la pêche en question. Ainsi, si les filets dérivants
(2) furent pendant longtemps les principaux incriminés, leur interdiction d’utilisation en 1992 a fait changer la donne. Aujourd’hui, ce sont malheureusement les filets maillants qui ont pris le relais. Maintenus en haut par une ligne de flotteurs et en bas par une ligne de lest, ces filets forment des murs sous-marins mesurant de 600 à 10 000 mètres. Même perdus, ils peuvent continuer à « pêcher » pendant des mois, voire des années.
Ces filets égarés ne sont pas les seuls polluants sévissant en mer. Le relargage de pièges à crabes ou de nasses, dispositifs constitués d’un filet et d’une armature en forme de cage, est tout aussi dommageable à l’écosystème marin. D’après la FAO, aux Etats-Unis, dans la baie de Chesapeake, environ 150 000 pièges à crabes sont perdus chaque année et environ 500 000 nouveaux sont mis en place. En Guadeloupe, dans l’île des Caraïbes, les 20 000 pièges posés chaque année se perdent à la saison des ouragans. Or, à l’instar des filets maillants, ces pièges continuent à faire des victimes une fois livrés à eux-mêmes.
Un requin pris accidentellement dans un filet de six tonnes au large de l'AustralieLes principaux méfaits causés à la faune et à la flore aquatiques sont la capture continuelle, autrement appelée « pêche fantôme », et l’altération des sols marins. Poissons, tortues, oiseaux de mer, requins, dauphins sont aux prises avec cette perpétuelle épée de Damoclès. Sur la côte pacifique des Etats-Unis, les jeunes esturgeons blancs paient également un lourd tribut.
Comble de l’ironie, l’homme doit aussi faire face à la menace constante que constituent ces équipements de pêche oubliés eu égard à la circulation maritime, notamment marchande.
Dans son rapport, la FAO dresse le bilan des diverses solutions envisagées aujourd’hui pour lutter contre ces phénomènes de « pêche fantôme ». Insistant sur la nécessité d’agir dès à présent sur tous les fronts, elles s’inscrivent à trois niveaux : en atténuation, en prévention et en curatif. A caractère incitatif, l’une de ces mesures consiste en un système de prime récompensant les pêcheurs qui ramènent les filets trouvés aux ports. Est également suggéré, à des fins de traçabilité et non de punition, l’estampillage des équipements via la mention de l’identité du propriétaire sur le matériel. Une autre voie évoquée étudie l’intégration de matières biodégradables en substitution aux matériaux plastiques actuellement utilisés, dont les résidus contaminent souvent la chaîne alimentaire marine. Les plastiques modernes peuvent perdurer jusqu’à 600 ans dans l’environnement marin en fonction notamment de la nature de l’eau et de la pénétration des rayons ultraviolets.
Enfin, au jour d’aujourd’hui, la plupart des ports ne disposent pas des installations adéquates pour prendre en charge la collecte et l’élimination des équipements de pêche obsolètes. Une lacune à laquelle il faudra nécessairement remédier.
Cécile CassierPhoto © FAO
1- L’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture.
2- Les filets dérivants sont maintenus soit à la surface de l’eau, soit juste en dessous par des flotteurs. Ils ciblent des espèces pélagiques comme les sardines, le hareng, l’espadon ou encore le saumon.
Source:
http://www.univers-nature.com/inf/inf_actualite1.cgi?id=3739