ONG mondiale consacrée à la protection de l’environnement et à la diversité biologique, l’UICN vient de publier sa “liste rouge” des espèces menacées. Un constat alarmant mais pas irréversible. Réputée pour son sérieux, l’UICN a été créée en 1948. États et institutions internationales se fondent sur ses analyses pour modifier leur législation. Elle vient de publier sa liste rouge des espèces en danger, établie à partir d’observations scientifiques,selon des critères précis :population totale, zone d’occupation, fragmentation de la répartition…
Selon l’UICN, 1 139 espèces de mammifères sont menacées d’extinction sur les 4 651 pour lesquelles nous disposons de données.Entretien avec Florian Kirchner, ingénieur agronome et docteur en écologie, chargé de programmes espèces et outre-mer au sein du comité français de l’UICN.
Quelles sont les causes d’extinction des espèces ? D’abord, la destruction de leur habitat naturel, converti en zones cultivées ou urbaines,ce qui passe,par exemple, par la déforestation ou l’assainissement des zones humides, comme ce fut le cas pour une partie du littoral méditerranéen. La déforestation concerne particulièrement les zones tropicales. En Indonésie, l’expansion des palmeraies géantes, destinées à la production d’huile,menace les orangs-outans.Le chat-pêcheur est en danger en raison du drainage des zones côtières,marécages ou mangroves transformées pour l’agriculture.La pollution des sols et des eaux est un autre facteur de dégradation de l’habitat naturel.En Guyane, la loutre géante est menacée par les rejets de mercure utilisé pour l’orpaillage.
On cite aussi la surexploitation des espèces. C’est vrai pour les espèces animales et végétales : prélèvement excessif des bois tropicaux, surpêche dans les océans, chasse non contrôlée… En Afrique,les éléphants sont victimes du braconnage lié au trafic de l’ivoire.Les deux gros marchés sont le Japon,où le commerce est contrôlé, et la Chine,où les contrôles sont très déficients. Les braconniers alimentent des réseaux de type mafieux.
Et les félins ? Ils sont chassés pour les trophées et pour la fabrication de “remèdes” traditionnels.Le tigre, notamment, en est victime.En Asie du Sud-Est, on prête des vertus aphrodisiaques à ses os broyés en poudre.C’est l’une des raisons qui expliquent qu’il soit menacé. Les touristes contribuent aussi à la mise en danger des espèces.Au Viêtnam,par exemple,on trouve quantité de serpents en bocaux, conservés dans de l’alcool. Des serpents aux couleurs vives, très “décoratifs” donc très prisés des Occidentaux. Or beaucoup sont des espèces menacées.
Troisième cause d’extinction ? Les espèces exotiques envahissantes.Quand on prélève une espèce dans un écosystème et qu’on la transfère dans un autre, elle peut menacer les espèces locales.Un exemple bien connu est celui de la tortue de Floride qui s’acclimate si bien dans nos contrées qu’elle prélève la nourritureplus vite que “notre”tortue aquatique, la cistude. Elle colonise l’espace au détriment de l’espèce locale.On parle aussi beaucoup en ce moment du frelon asiatique, qui décime les abeilles, déjà affaiblies par l’utilisation des pesticides. En Aquitaine, les apiculteurs ont lancé la mobilisation générale contre cette nouvelle menace.Dans les îles,l’arrivée des espèces envahissantes déstabilise les écosystèmes.Les chats et les rats introduits sont responsables de l’extinction de dizaines d’espèces d’oiseaux dans les îles. À La Réunion, le tuit-tuit, un petit oiseau forestier, est menacé alors qu’il vit dans une réserve naturelle,parce qu’il est victime des rats.Il en subsiste moins de 150.
Le changement climatique aggrave-t-il les risques d’extinction des espèces ? C’est le quatrième facteur de risque. Nous avons désormais des exemples concrets de son impact sur certaines espèces, comme les coraux qui blanchissent et meurent en raison du réchauffement des eaux. En 2005, le quart des récifs coralliens ont été perdus en Guadeloupe et en Martinique, en une seule saison.
N'exagère-t-on pas les risques pesant sur la nature ? Non. Les scientifiques s’accordent à dire que nous vivons la sixième crise d’extinction des espèces, la cinquième étant celle qui a vu disparaître les dinosaures, il y a 65 millions d’années.Auparavant, il y en a eu trois durant l’ère primaire et une au début de l’ère secondaire. On le sait grâce aux fossiles. Toutes ces crises étaient dues à des cataclysmes ou à des changements de climat. La grande différence, c’est que la crise actuelle résulte de l’activité humaine, qui n’est pas près de s’arrêter.
Cependant, certaines espèces menacées il y a quelques années ont vu leur population croître. Il y a donc des solutions ? Bien sûr ! Le but est de concilier l’activité de l’homme avec le respect des espèces et de la biodiversité. Parce que c’est aussi notre intérêt. Cette biodiversité, ce n’est pas que le décor de notre vie sur la planète,c’est aussi tous les services que nous rend la nature : ce que nous mangeons, les matériaux de nos vêtements, quantité de médicaments, la pollinisation des cultures…
Le premier remède,c’est de s’attacher à préserver chaque espèce menacée, donc d’en interdire la chasse, le prélèvement ou la cueillette, le temps qu’il faut pour que les populations se reconstituent. Pour des espèces au bord de l’extinction, il faut mener des plans de restauration, en facilitant leur reproduction en captivité, avant de les réintroduire dans leur milieu naturel.Mais cette politique est coûteuse.D’où une deuxième solution : compléter la protection des espèces par la protection des espaces. En constituant des parcs nationaux, par exemple, ou par une politique d’acquisition du foncier, comme le fait le Conservatoire du littoral. Les pouvoirs publics établissent,par ailleurs, des plans d’aménagement du territoire. L’enjeu aujourd’hui, c’est de faire entrer le respect de la biodiversité dans ces documents de planification.
Nous pouvons aussi veiller à ce que notre mode de consommation n’ait pas d’impact sur les espèces, en France comme au bout du monde. Et là, nous pouvons agir par une politique de labels. Le label FSC,par exemple,retrace l’origine du bois. Quand un meuble bénéficie de ce label,nous sommes sûrs que son bois ne vient pas d’une espèce menacée et qu’il est issu d’une forêt gérée de façon durable, selon des critères reconnus internationalement. Nous savons aussi que les trois quarts des stocks de poissons s’épuisent, mais il existe des poissons non menacés, que nous pouvons consommer sans risque d’extinction de l’espèce. Les consommateurs doivent en être informés.
Faut-il inciter les pêcheurs à réorienter leur pêche ? Les États tentent de s’y employer, dans le cadre des politiques publiques de gestion durable des ressources naturelles, par des quotas. Il existe aussi des politiques de régulation du commerce international des espèces sauvages. La convention de Washington interdit, par exemple,l’importation d’ivoire ou de peaux de léopard en France, ou l’exportation des mygales de Martinique. La liste rouge établie par l’UICN est d’ailleurs un outil d’action publique, que l’État français prend en compte pour définir la politique nationale de protection des espèces. On le sait peu, mais la France fait partie du petit club des pays mégadivers : elle est très riche en espèces animales et végétales, grâce à ses collectivités d’outremer, dont les écosystèmes sont très riches mais aussi très fragiles.C’est dire qu’elle a, en matière de protection des espèces, une grande responsabilité.
Fabrice Madouas, le 23-10-2008http://www.valeursactuelles.com/public/valeurs-actuelles/html/fr/articles.php?article_id=3463