Témoignant de la crise qui touche le secteur, le dernier rapport de la Banque Mondiale et de la FAO a évalué à 50 milliards de dollars les pertes économiques annuelles de la pêche en mer. La surpêche ainsi qu’une mauvaise gestion des pêcheries mondiales représenteraient les principaux facteurs à l’origine de ce manque à gagner.
Intitulé « Les milliards engloutis : justification économique pour une réforme des pêches », ce dossier a étudié les mécanismes qui ont amené le secteur de la pêche à enregistrer de tels déficits. Pointant du doigt l’extrême surcapacité de la flotte mondiale, il dénonce une concurrence accrue qui, combinée à la raréfaction des ressources halieutiques, conduit à une stagnation de la productivité et à l’inefficacité économique. Ainsi, alors que les prises mondiales en mer stagnent autour de 85 millions de tonnes par an depuis plus d’une décennie, le rendement des pêcheries (prises par pêcheur ou par bateau) a baissé. D’après le rapport, « si les stocks mondiaux étaient recomposés, environ la moitié de l’effort de pêche existant suffirait à atteindre les prises actuelles ».
On est dès lors confrontés à une impasse puisque la diminution des stocks disponibles ne peut qu’exacerber la concurrence entre les pêcheries et inversement. Selon la FAO, plus de 75 % des stocks mondiaux de poissons sont soit pleinement exploités, soit surexploités.
Pourtant, comme le fait remarquer Rolf Willmaan, expert en planification des pêches à la FAO, dans l’état actuel des choses, « personne n’y gagne ». « Les niveaux réels des revenus des pêcheurs sont en baisse, une grande partie de l’industrie des pêches n’est plus rentable, les stocks de poissons sont épuisés et d’autres secteurs de l’économie payent les factures de ce secteur en difficulté » via un système de subventions. Une situation complexe encore avivée par la récente flambée des prix du carburant.
Pour remédier à cette situation inextricable, le rapport invite à réduire et mieux contrôler l’effort de pêche, notamment en abaissant le nombre des flottes mondiales et en renforçant les droits d’usage, d’accès ou de propriété des pêcheurs. Ces derniers peuvent par exemple prendre la forme de permis de pêche spéciaux indiquant les conditions d’accès aux zones de pêche ainsi que le type et la durée de celle-ci. De là, on pourra envisager une reconstitution des stocks de poissons, tout en veillant à réguler leur exploitation.
Les deux organismes à l’initiative du dossier recommandent d’autre part la suppression progressive des subventions allouées à la pêche, même si Kieran Kelleher, à la tête de l’équipe pêche de la Banque Mondiale, admet que « Les réformes de la gouvernance sont souvent politiquement difficiles, spécialement s’il s’agit de réduire les flottes de pêche ou le nombre de pêcheurs ». Il ajoute que « les droits ainsi que le gagne-pain des pêcheurs doivent être assurés quelles que soient les réformes ».
Le poisson étant la principale source de protéine animale pour plus d’un milliard de personnes, il est nécessaire de parvenir à mettre en place des pêcheries raisonnées et pérennes. Un défi de taille si l’on considère les pertes accumulées sur les trois dernières décennies, lesquelles totaliseraient un manque à gagner de plus de 2 000 milliards de dollars. Equivalant plus ou moins au PIB de l’Italie, ce chiffre n’inclut pourtant ni la pêche sportive, ni le tourisme, ni la pêche illégale.
Cécile Cassier